Histoire d'un pré-deuil vibrant...

Le mois dernier, un soir vers minuit, j’ai soudain eu l’intuition que ma mère pourrait quitter cette terre bien avant l’idée que je m’en fais.

Je suis allée jusqu’à tirer quelques cartes du tarot de Marseille qui ont eu l’air de confirmer ma prescience avec un « c’est tout à fait possible ». Les esprits les plus cartésiens ne pouvant me contredire puisque passé 80 ans, de toute façon, la probabilité est en effet plus qu’avérée.

Mais disons que je me suis toujours imaginé que maman vivrait jusqu’à 100 ans.

Comment vous expliquer qu’à cet instant, ce jour-là, je me suis laissée complètement traverser par l’émotion brute que cette éventualité a déclenchée en moi. En un rien de temps, j’étais en train de sangloter puissamment à mon bureau, réalisant l’ampleur du deuil, me sentant étouffée à l’idée qu’une grande partie de mon existence, probablement la plus significative d’ailleurs, se déroulerait sans qu’elle puisse en être le témoin et le soutien constant.

La puissance de mon chagrin était proportionnelle à l’amour que je ressens pour cette femme que j’ai la chance d’avoir comme mère. Tantôt recroquevillée sur mon lit à pleurer bruyamment dans un coussin, puis de nouveau sur ma chaise de bureau, cherchant l’air au-dessus de ma tête, comme si l’air ne pouvait venir que de là-haut, les yeux rivés sur le plafond et plus largement vers le ciel, cherchant dans l’immensité quelque chose à quoi me raccrocher… en vain.

Puis soudainement, réaliser que je tiens peut-être là une chance inouïe : de pouvoir l’appeler, pour lui faire part de mon chagrin, et me faire ce luxe ultime d’être consolée par celle-là même dont la projection de l’absence m’étouffe.

Qu’à cela ne tienne, il était 1h20 du matin.

Je sais ma mère oiseau de nuit : j’appelle.

Quel soulagement d’entendre sa voix, même inquiète de m’entendre sens dessus dessous à une heure indue un soir de semaine.

Je lui explique brièvement, en toute transparence – nous savons l’être, maman et moi – et puis c’est d’elle que je tiens un rapport à la mort très conscient et apaisé. Je lui dis que je réalise qu’elle pourrait partir bien plus tôt que « prévu », dans mon imaginaire d’enfant optimiste.

Elle ne dément pas, pressentant elle aussi que cela « pourrait arriver », me disant que ce qui la retient le plus, c’est l’idée qu’on souffre de son départ, ma sœur et moi. Je lui raconte ce que j’ai l’impression qu’elle va rater, ce qui m’étouffe de l’imaginer.

Je lui rappelle aussi, le cœur complètement ouvert, à quel point je l’aime, à quel point je me suis construite à ses côtés, à quel point elle est une super maman pour moi (et ma sœur), et à quel point je lui suis reconnaissante de TOUT.

Nous passons 20 minutes au téléphone d’une intensité vibrante, où j’en profite pour lui dire qu’elle est libre, libre quand elle le souhaite, si un jour elle se sent sur le seuil et qu’elle a envie de lâcher, qu’elle le peut. Que je transformerai toutes ces larmes, qui ne sont que la matière de mon amour immense pour elle, en amour, en joie et en quelque chose qui transcendera son départ pour qu’elle puisse continuer à vivre à travers moi, et tous ceux qui l’aiment, de façon encore plus palpable et alchimique.

J’en ai conclu que j’avais vécu une espèce de pré-deuil. Et pour elle comme pour moi, ça a laissé un goût de paix et de douceur.

Sachant quelque part que le jour où cela arrivera, elle comme moi nous souviendrons de cet échange comme d’un constat serein que l’essentiel a été dit et que nous nous aimons déjà au-delà de ça.

Malgré ça, j’ai conscience que son départ me prendra à la gorge et aux tripes.

Mais je suis d’ores et déjà convaincue qu’amoureuse des émotions comme je le suis, je surferai sur la cime de mon chagrin, pour la rejoindre à travers des projets à la hauteur de son humanité.

Et c’est pas peu dire.

Je t’aime Maman.

📸 Ma mère, le jour de ses 80 ans.

Une gamine avec des ballons.

Une partie de moi la croit encore éternelle.